Prix Pierre-François Caillé de la traduction 2022
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Prix Pierre-François Caillé de la traduction 2022 – « Deux ouvrages pour mieux appréhender notre monde »

par Jury du prix Pierre-François Caillé de la traduction

le 03 novembre 2022

Aurélien Berlan, pour sa traduction de l’allemand La Fin de la mégamachine, de Fabian Scheidler, aux Éditions du Seuil, 624 pages.

Nous vivons une crise sans précédent. Le sous-titre du livre ne peut être plus explicite : « Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement ». Notre civilisation industrielle, largement présentée comme l’incarnation du progrès, nous mène pourtant à notre perte. Nous adoptons une attitude purement suicidaire, que Fabian Scheidler décrypte avec brio en puisant aux sources des sciences humaines, de l’anthropologie, de l’économie, de la sociologie, de la philosophie et de l’histoire des technologies. Une plongée sur 5 000 ans de notre histoire, fortifiée par cinq siècles de capitalisme, en seulement quelque 600 pages ! Scheidler emprunte alors à l’historien Lewis Mumford le terme de mégamachine pour désigner un ordre social asservissant une majorité d’hommes et détruisant la planète au profit d’un petit nombre de privilégiés. Cette mégamachine s’est emballée, déclenchant un engrenage destructeur de notre planète et de notre humanité.

« C’est un ouvrage majeur qui doit absolument être diffusé. La traduction sert aussi à accéder à un savoir fondamental sans s’arrêter aux imperfections », tient à souligner en préambule Björn Bratteby, membre du jury. Selon lui, il est vrai que l’on ressent parfois l’allemand dans certaines tournures de phrases, mais la version française reste tout de même plus digeste que sa version originelle plus académique.

Agnès Debarge, également membre du jury, qualifie même ce livre « de somme remarquable qui remet en cause tout notre système ». L’allemand étant une langue agglutinante, on trouve nécessairement des phrases plus longues et plus lourdes. « Mais malgré quelques pléonasmes, le traducteur a réussi à découper la langue, à utiliser un vocabulaire courant sans épistémologie pointue ».

Docteur en philosophie et ayant déjà traduit Weber, Aurélien Berlan a fourni un travail phénoménal. « L’ouvrage comporte une bibliographie impressionnante ; le traducteur a certainement dû remonter à la source pour trouver les bons titres, les bonnes citations… » Un point qu’atteste Björn, ajoutant qu’il a même adapté des recherches scientifiques allemandes par des études françaises ou a opté pour des comparaisons chiffrées entre les deux pays. Une postface en lien avec la pandémie a également été spécialement rédigée pour la version française parue en plein Covid-19 : « On ressent qu’Aurélien Berlan et Fabian Scheidler ont vraiment travaillé en symbiose ».

Cette équipe signe un essai qui permet de mieux saisir notre monde. Chaque pièce du puzzle est remise en place avec un synthétisme fabuleux. Et surtout, chose rare, des solutions sont proposées pour enrayer cette mégamachine.

Eric Reyes Roher, pour sa traduction de l’espagnol Animaux invisibles, de Gabi Martínez, aux Éditions Le Pommier, 308 pages.

« Il existe tout un tas de choses que je n’ai jamais vues, dit l’homme, et auxquelles je crois. Ce serait idiot de ma part de croire que le monde se limite à ce que je vois. » L’environnement dans lequel nous évoluons est si vaste qu’il nous pousse à la curiosité. Après avoir sillonné la planète pendant quatre ans, Gabi Martínez nous livre un splendide récit de son tour du monde, empreint de découvertes et surtout de poésie, de rêves et de mystères. Nous partons en quête d’animaux invisibles, ceux qui ont déjà disparu, ceux que l’on n’aperçoit plus que très rarement, et ceux qui demeurent un mystère : le Bec-en-sabot d’Ouganda, le Moa de Nouvelle-Zélande, le Danta du Venezuela, le Tigre de Corée, le Yéti du Pakistan et… la barrière de corail d’Australie ! Étrange titre que celui de parler d’animaux – qui plus est, invisibles – quand on évoque un récif corallien…

« Ce titre est au contraire admirablement bien senti. Il faut se référer à l’étymologie latine du mot : anima, l’âme en français. Ce terme est englobant. Quant à l’invisibilité, elle s’entend comme invisible à l’œil nu, notamment à propos d’espèces rares ou nées de l’imagination », précise Lucile Gubler, membre du jury. « La grande barrière de corail est un ensemble de vivants minuscules et on ne la voit certes pas de la terre, mais elle se distingue de l’espace. » Pour Lucile, grâce à une langue simple ponctuée d’envolées lyriques, à une fluidité des propos sans aucun effet de manche et à une remarquable gymnastique pour passer du récit aux dialogues, Eric Reyes Roher a fait de cet écrit « une très belle traduction puisqu’on ne la ressent jamais ! ».

Même constat pour Maryvonne Simoneau, également membre du jury : « Quand on traduit de l’espagnol, il faut souvent élaguer afin d’éviter les redondances. Or cet ouvrage est une traduction superbe. Pas d’irrégularités, aucun manque d’informations, un lexique très abondant, preuve d’un travail très documenté, un style riche et respectueux de l’auteur, des descriptions provocatrices d’émotion », ajoutant avoir eu « des bouffées d’émotion » au point de « relire parfois certains passages pour se délecter ».

De cette mosaïque jonglant admirablement entre recherches scientifiques, voyages et réflexions philosophiques, les deux jurées s’accordent. Animaux invisibles ouvre la voie à des réflexions sur ce que nous sommes et sur ce qui nous entoure, dans sa fragilité comme dans sa splendeur. Un bouleversement où l’aléatoire et l’invisibilité font finalement partie de nous. Une forme de Jules Verne contemporain dans l’appréhension de notre monde.

Pour connaître le lauréat ou la lauréate de l’édition 2022 du prix Pierre-François Caillé, rendez-vous le 18 novembre prochain.

Consultez le site dédié au prix pour tout connaître sur le prix Pierre-François Caillé de la traduction, découvrir les membres du jury présidé par Bernhard Lorenz, ainsi que la sélection complète de l’année 2022 : Sélection 2022 du Prix Pierre-François Caillé de la traduction.

www.prixcaille.fr

par Jury du prix Pierre-François Caillé de la traduction

le 03 novembre 2022