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Entretien avec Dominique Jonkers

Traducteur spécialisé en économie et finance – FR

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Dominique Jonkers portrait

Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?

Je suis ressortissant néerlandais, né en Belgique francophone, où je vis depuis toujours. J'ai donc cette particularité que la langue que je maîtrise le mieux n'est pas ma langue maternelle (au sens de langue de ma maman), mais bien ma langue d'adoption, le français. J'étais quadrilingue dès l'adolescence. Après des études économiques, j'ai passé une quinzaine d'années dans le secteur bancaire, où j'ai occupé des fonctions très variées qui m'ont donné une vision à 360° du monde économique et financier. C'est tout à fait fortuitement que la traduction est entrée dans ma vie, en 1993, avant de devenir mon métier à temps complet à l'époque où la SFT célébrait ses cinquante années d'existence. Je suis ravi de fêter mes 20 ans de pratique en cette année du 70e anniversaire. Plonger sans préparation, sous statut d'indépendant, dans un métier qu'on ne connaît pas, sur un marché où on ne connaît personne, est une gageure. J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer, au fil des années, des collègues qui m'ont tendu la main et des clients qui m'ont systématiquement renouvelé leur confiance. J'ai été un des premiers à me profiler comme traducteur spécialisé, à l'époque des balbutiements d'Internet. J'ai le sentiment que j'ai pratiquement créé le métier de traducteur économique et financier. J'ai connu les traductions livrées sur disquette, j'ai connu les modems acoustiques 56k, où il fallait déposer le combiné du téléphone sur un émetteur-récepteur, et je me prépare à bien d'autres changements technologiques.

Trois conseils tirés de votre expérience ?

  1. Amis traducteurs, sortez du lot. Faites-vous remarquer par la qualité de votre travail, par votre sourire au téléphone, par votre réactivité. Continuez de vous former. Ne cessez jamais d'améliorer vos compétences techniques et rédactionnelles. Le bouche à oreille est votre meilleure publicité. Faites en sorte que vos collègues reconnaissent votre expertise et vous recommandent à leurs clients lorsqu'ils ne peuvent les servir eux-mêmes.
  2. Visez le marché haut de gamme. Réfléchissez. Mettez-vous à la place de votre client. Appelez-le quand vous ne comprenez pas un texte. Expliquez-lui qu'il vaut mieux un traducteur qui ose dire qu'il ne comprend pas, plutôt qu'un traducteur qui traduit sans comprendre. Tôt ou tard, les traducteurs qui traduisent comme des machines seront remplacés par des machines. Posez-vous plutôt en conseiller en communication. Refusez de traduire une page HTML si on ne vous procure pas la capture d'écran correspondante : la mise en page influe souvent sur la traduction. Posez vos conditions pour travailler selon vos normes et valeurs, et non celles du client. Il vous en respectera davantage.
  3. Apprenez les techniques de négociation. Augmentez vos tarifs. Refusez de brader votre métier. Face aux agences, n'oubliez jamais qu'elles ne vivent que par la bonne volonté des traducteurs. Face aux clients, rappelez-vous toujours qu'un client qui vous confie un mandat ne vous fait ni l'aumône, ni un cadeau. Il résout un problème. Et vous méritez une rémunération correcte en retour.

Un projet qui reste gravé dans votre mémoire ? Pourquoi ?

Rien de tel qu'un coup de chance. Je m'étais lancé à corps perdu dans ce métier depuis six mois à peine. Quelques agences me confiaient régulièrement du travail. L'une d'entre elles m'appelle. "Un client pour lequel tu travailles depuis quelques jours a besoin d'un traducteur sur site, à temps complet, et si possible dès demain. Ils sont sur un mégaprojet, et très mécontents de la plupart des traductions qu'on leur adresse. En revanche, ils sont très contents des tiennes et voudraient te proposer une collaboration". Petit silence, puis il ajoute "Si tu es d'accord, je leur communique tes coordonnées." Nouveau petit silence. "Ils sont aux abois. Propose-leur un tarif élevé : tes coordonnées, je ne les leur donne pas, je les leur vends. Et un bon prix." J'avais à peine quelques heures pour réagir. J'ai proposé un tarif que je trouvais moi-même démentiel, j'ai imposé une majoration de 50% sur toute prestation effectuée en dehors des horaires ouvrables. J'étais nouveau sur le marché, je n'avais rien à perdre. Ce projet m'a occupé plus de quatre mois, 7 jours sur 7, de 7h du matin à 23h, avec deux réunions quotidiennes où j'étais le seul traducteur au sein d'une équipe de banquiers et de juristes. Et mes avis étaient pris en compte. Le jour où le directeur responsable du projet a signé le "bon à tirer" du document final, nous avons, lui et moi, passé une nuit blanche. Il m'a par la suite remis une très belle lettre de recommandation que je garde précieusement dans mes archives. Ce projet a été un tournant important dans ma carrière : une aubaine financière, mais surtout une piqûre de confiance en moi. De ce jour, je n'ai plus dit à mon entourage "je fais des traductions", mais "je suis traducteur". Il a aussi été un tournant important dans ma vie, puisque c'est en arrivant très en retard à l'anniversaire d'un copain, après une longue journée chez ce client, que j'ai rencontré ma compagne.

Une rencontre qui vous a marqué ? Pourquoi ?

Remontons un peu dans le temps : 1993 ou 1994. J'habite Bruxelles, et porté par la curiosité, je me procure un magazine informatique qui propose un abonnement d'essai gratuit à Compuserve, qui était un des tout premiers fournisseurs d'accès en ligne. Internet en est à ses balbutiements, Al Gore (alors Vice-Président des États-Unis) parle encore de l'autoroute de l'information. Windows n'existe pas encore : tout ce qui apparaît à l'écran de mon PC, lorsque je l'allume, c'est le signe C:> qui me dit que j'ai la main. Et soudain, grâce à un modem et à cet abonnement gratuit d'un mois à Compuserve, je découvre mon premier forum : FLEFO (Foreign Language and Education Forum). Merveille : j'écris un message, et en face, quelqu'un me répond, depuis l'autre bout du monde ! J'ai fait sur FLEFO la connaissance de nombreux internautes, mais il y a un contact, en particulier, qui m'a apporté plus que je ne saurais le dire : Christine Durban. Il faudra attendre plusieurs années pour que nous fassions connaissance "pour de vrai". C'est Chris qui m'a proposé un jour d'adhérer à la SFT, avant de me faire le cadeau de m'entraîner dans d'autres aventures : l'Université d'été de la traduction financière, la série "On traduit à XXX", une élection au comité directeur de la SFT et bien d'autres choses encore. Je dois énormément à son amitié et à sa compétence.

Votre réponse à la question « Pourquoi ne pas se contenter d’utiliser Google Translate ? ».

C'est extrêmement simple. Traduire, c'est comprendre. L'ordinateur est stupide. Il ne comprend rien. Il n'a conscience de rien. Il ne sait pas qu'il manipule des mots, ni que ces mots ont un sens. Il se contente de suivre quelques règles qu'on lui a enseignées. Proposez à un système de traduction automatique une phrase qui n'a aucun sens. Jamais il ne s'arrêtera pour poser une question ou simplement signaler que la phrase ne veut rien dire. Pour autant que chaque mot figure dans un dictionnaire, Google Translate proposera une traduction. Stupide. Faites le test. Voici une phrase sans queue ni tête trouvée à l'instant sur Internet. Elle est presque poétique à force de ne pas avoir de sens. "The grand frigates of Liechtenstein have half-eaten telephones in their orchestra." Chiche que GT ne vous demandera pas si "half-eaten" est un verbe ou un adjectif ?

Comment voyez-vous le métier dans 70 ans ? Quel rêve voudriez-vous voir exaucé ?

Je ne vois pas si loin. Je crois que l'intelligence augmentée va encore progresser (je me refuse à parler d'intelligence artificielle) Je ne crois pas un instant que la "singularité" de Kurzweil se réalisera. Je crois que la technologie flattera la paresse des humains, et que le multilinguisme va régresser. Paradoxalement, cela ouvrira de belles possibilités de carrière pour les traducteurs - à condition qu'ils ne travaillent pas machinalement. Quiconque travaille comme une machine sera remplacé un jour par la machine.

La SFT, pour vous, ça représente quoi ?

La SFT a été pour moi une grande chance. J'y ai trouvé des collègues, des amies et des amis. Elle m'a aidé à voir au-delà des horizons de mon petit bureau, et à prendre conscience du monde de la traduction à l'échelle planétaire. Elle m'a fait rencontrer des collègues remarquables un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, qui m'ont appris à travailler autrement et mieux. Elle m'a ouvert les yeux sur l'universalité de notre métier et sur le plaisir que l'on peut y trouver lorsqu'on tente de le pratiquer le mieux possible. Merci la SFT ! Et si j'ai un conseil à donner à un traducteur débutant, c'est d'adhérer au plus vite.

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